“Les Brigands” queer et déjantés déchaînent le Palais Garnier
Le metteur en scène australien Barrie Kosky enflamme le plateau du Palais Garnier avec des Brigands à mi-chemin entre le music-hall et le cirque, délibérément queer et transgenre, pour épouser le propos irrévérencieux et provocateur de l’opéra bouffe composé par Jacques Offenbach. Une mise en scène chorégraphique magistrale épaulée à la tête de l’orchestre par le chef Stefano Montanari.
Par delà le bien et le mal
« La musique d’Offenbach doit sentir l’ail et la sueur » affirme dans le programme le metteur en scène Barrie Kosky, qui revient pour la deuxième fois à l’Opéra de Paris avec son compositeur de prédilection. Pour cet opéra bouffe créé en 1869 au Théâtre des Variétés, immortalisant l’air du chœur des carabiniers « nous arrivons toujours trop tard », le metteur en scène imagine des pirates un peu terroristes, vêtus de costumes multicolores ou carrément dévêtus, les fesses moulées dans des slips argentés, débarqués de nulle part et menés par leur chef Falsacappa qui prend ici l’allure de la drag queen Divine dans les films de John Waters. Enorme jarre gainée d’une robe rouge tomate, qui se déplace en roulant des hanches, le roi de brigands semble être la parfaite illustration du brouillage des identités qui mène au burlesque le plus abouti. Dans un tourbillon de duperies et de déguisements virevoltants, 360 costumes et 150 perruques, cette bande de pieds nickelés se transforme en meute de gilets jaunes échevelés qui réclament la justice fiscale aux banquiers et aux bourgeois qui leur ont confisqué leur pitance vitale. Offenbach et ses librettistes Meilhac et Halévy comparent le vol de brigands à celui des banquiers à une époque où la finance multiplie les scandales. Le dramaturge Antonio Cuenca Ruiz rajoute des dialogues bien nourris de notre actualité immédiate -dissolution, séisme politique, dette financière, révolte des syndicats, jeux olympiques salvateurs- que les chanteurs acteurs ou danseurs s’approprient avec une verve gourmande et des clin d’yeux au public.
Mise en scène explosive
L’histoire des Brigands est d’une simplicité enfantine. Un groupe de bandits sévit dans la montagne, entre le royaume de Grenade et le Duché de Mantoue, dans l’objectif de pirater un mariage royal et récupérer les millions de la dot de la princesse italienne. L’ambiance sur le plateau est survoltée, tant l’apport de la chorégraphie et du charisme dramatique des interprètes fait pencher la représentation vers les Marx Brothers. Le théâtre, le burlesque, le cru et le kitsch sont partout, et c’est peut-être là l’écueil. A force de trop en faire, la gestuelle chorégraphique des danseurs, réglée à la perfection par Otto Pichler, qui ressemble à une parodie sexy des folies Bergère, finit dans le premier acte par lasser un peu. Passé l’entracte, l’émerveillement revient avec le changement de décor. Dans un palace délabré, surgit la suite royale de la princesse espagnole. Velasquez fait son apparition dans le monde du kitsch et des fausses valeurs. Et les costumes de Victoria Behr, les lumières d’Ulrich Eh, font éclater la théâtralité de la farce et la beauté du jeu. Il faut avouer que le ténor Marcel Beekman use de tous ses talents d’acteurs pour camper Falsacappa avec une humanité et une rouerie remarquables, et que la jeune Marie Perbost s’illustre avec éclat dans le rôle déluré de sa fille Fiorella.
Casting de rêve
Sous la direction puissante et précise de Stefano Montanari qui impulse une énergie triomphante à l’orchestre, laissant fuser le mélange des genres musicaux si cher à l’opéra bouffe, saluons la prestation éblouissante d’Antoinette Dennefeld dans le rôle de Fragoletto, son timbre fruité et son abattage théâtral. Le reste de la distribution est de très haute tenue, avec Mathias Vidal éblouissant Prince italien, Yann Beuron en baron de Campotasso empoté et malheureux, Laurent Naouri en génial chef de carabiniers avec la silhouette du Général de Gaulle. On doutera un peu du choix de Sandrine Sarroche, humoriste, qui met en boite, façon Ministre du budget, la politique du nouveau gouvernement, la réalité dépassant déjà la fiction au royaume de la cocasserie et de l’absurde. Mais la qualité des chœurs reste exceptionnelle, encadrés par la formidable Ching-Lien Wu. « Il faut voler selon sa condition, dit Falsacappa. Les bandits volent des tabatières et des mouchoirs ; les hommes d’affaires volent des millions : voilà toute la différence. » Une production à haute teneur en férocité et à l’humour décapant, qui ouvre magnifiquement la saison.
Hélène Kuttner
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